« Peu
importe ce que vous faites, du moment que c'est facturé à
quelqu'un ! »
« L’intégralité
de ce qui se produit dans l’univers peut se réduire à un nombre
déterminé de cellules Excell qui, en se combinant au moyen
d’opérateurs relationnels fluctuants, engendrent un ensemble de
conclusions à la variabilité prédéfinie dont la valeur
justificative et qualitative est résolument indépendante des
calculs qui ont servi à les établir. »
Traduction
: Même si tu fais tout ce qu’on te dit de la manière dont on te
le dis, si on a décidé au-dessus de toi que c'est mal fait, ce sera
mal fait. »
(Le
Traité d'Excellotronique du Docteur Méphistos)
Éditorial.
Après
treize mois d'absence, j'ai retrouvé ma place au sein de cette
grande famille qu'est la Poste et plus précisément à l'Agence
Territoriale de Maintenance de Seine Maritime où je suis
technicien. Comme de nombreuses autres entreprises, la Poste est en
pleine mutation. Les métiers, filières, directions et autres
structures qui la composent sont donc dans un état d'ébullition
permanente. La direction technique à laquelle j'appartiens n'échappe
pas à cette grande cuisine qui n'est pas sans rappeler ces émissions
de la télévision où les candidats de deux équipes en compétition
courent dans tous les sens en poussant des cris de bêtes blessées
dans le but de faire un gâteau original composé d'ingrédients qui
n'ont aucuns rapports avec la pâtisserie, la cuisine ou la
gastronomie. Si on part du principe que les règles du jeu changent
tous les quatre matins et qu'elles sont établies par des gens qui
pensent que le terrain n'est qu'un concept, ce n'est pas demain qu'on
le mangera, ce gâteau.
« Une
restructuration, c'est comme le jour des soldes mais sur plusieurs
années. »
Des
projets, toujours des projets.
La
Direction du Support
Et de la Maintenance
(la DSEM, pour les initiés) est
une des deux directions techniques de la Poste (l'autre étant celle
de la branche Courrier). Elle est à la pointe de l'innovation dans
le domaine de la restructuration vite expédiée. En effet, depuis
1999, date de sa création, elle accumule les projets de modification
qu'elle ne mène jamais à son terme. Le projet Odyssée avait tout
d'abord divisé la direction technique en Agences
Régionales de Maintenance,
elles-mêmes composées d'agences départementales (les ATM) ;
le projet suivant supprima les ARM et regroupa les ATM par deux ou
trois en Territoires sous la houlette d'un directeur (le DTSI).
Les
sommités hiérarchiques à la tête de la DSEM ont usé de tous les
subterfuges à leur disposition pour convaincre les techniciens que
tout était réglé alors que rien ne l'était. Les ARM n'ont pas
disparu : elles sont désormais des coquilles vides. Les
Territoires n'ont pour seul personnel que le Directeur qui le gère.
Les techniciens ont toujours leur ATM d'origine comme résidence
administrative. La conclusion est pour le moins burlesque : les
Directeur du Territoire et les agents qu'il est supposé chapeauter
sont dans deux structures différentes. Mais parfois, ils réussissent
à se parler.
Les
problèmes soulevés par le projet des territoires n'ont pas été
réglés. La hiérarchie a fait la sourde oreille et n'a pas hésité
à mentir pour faire taire les récalcitrants. La vérité vient
d'en-haut, c'est bien connu. En bas, on ne saurait avoir raison, nos
grades inférieurs ne nous permettent pas d'avoir une opinion ou un
avis. Pour nous clouer le bec, nos hiérarques ont pondu un nouveau
projet qui met fin au précédent mais en conservant ses
incohérences.
Après
avoir découpé la France en super régions et les avoir démembrées
pour faire les territoires, on redécoupe tout pour former des
secteurs. Il faut simplifier, mais à la française : en
n'arrangeant personne. On commence par supprimer les petites agences
et les antennes annexes, on regroupe les techniciens à un même
endroit et on prétend que ce sera plus pratique et économique. Mais
qu'on se rassure, le rayon d'action des techniciens ne va pas
augmenter grâce à un procédé magique : les zones les plus
reculées et les moins accessibles seront confiées aux secteurs
voisins qui feront pareillement avec les leurs. Ces messieurs du
siège espèrent nous faire gober ça !
Retour
sur 2015.
L'année
avait commencé avec le drame de Charlie Hebdo, elle s'est terminée
dans le sang avec la fusillade du Bataclan. Ces deux événements
occupèrent une large place dans l'actualité, on comprend bien
pourquoi. Sur le plan politique, les discussions ont tourné autour
de l'état d'urgence, de sa reconduction, de son inscription dans la
Constitution, enfin de la déchéance de la nationalité. Les débats
continuent. La question de la déchéance ne sera pas tranchée de
sitôt étant donné que les partisans ou les adversaires ont chacun
des arguments valables.
Que
s'est-il passé à l'ATM durant mon absence ? Probablement rien,
à part une délocalisation de l'agence, non pas en Chine ou dans
quelques endroits exotiques de l'Europe de l'Est mais quelques rues
plus loin dans des locaux plus solides, plus propres et plus
modernes. D'autres choses ont changé mais elles ne doivent pas être
importantes puisque c'est une étudiante en formation par alternance
qui me les a indiquées. Après treize mois d'absence, j'aurais cru
que les cadres m'en auraient parlé eux-mêmes, ils n'en ont rien
fait. J'ai toujours cette fâcheuse manie d'avoir des illusions.
2016,
une nouvelle année commence.
Pour
moi, cette année a commencé le premier février. Le mois de janvier
ne s'est pas évaporé dans un changement de calendrier : il a
été bien rempli mais pas au travail. Mes collègues en activité
durant cette période ont été confrontés aux prémices du projet
de restructuration évoqué plus haut. Les négociations avec les
syndicats continuent. Le texte définitif n'est donc pas encore
signé. Pourtant, et la chose est on ne peut plus cocasse, un
calendrier pour son application a déjà été diffusé comme si tout
était acté. Mais, contrairement aux précédents remaniements, le
siège a sorti le grand jeu en privilégiant le côté participatif.
Voilà ce qu'il faut comprendre : « On
sait que vous ne voulez pas de ce projet mais nous sommes prêt à
entendre toutes vos idées pour que vous l'appliquiez quand même tel
que nous le souhaitons. On appellera ça le projet
d'établissement ! »
« Le
changement, c'est maintenant ; après, c'est trop tard ! »
Le
changement est devenu une véritable manie. Il se fait attendre en
politique bien que tous les candidats, à toutes les élections et
tous partis confondus, le promettent mais il ne vient jamais. Dans
les entreprises, il est omniprésent mais sous des formes rarement
bénéfiques. On le désigne par le terme de restructuration. « Une
restructuration est une opération par laquelle un ensemble organisé
voit sa structure organisationnelle remaniée en vue d’atteindre
une nouvelle configuration. »
J'ai
lu sur un site juridique que « un
plan de restructuration est rendu nécessaire lorsque la santé
financière d'une entreprise l'oblige à faire des sacrifices. »
En règle générale, les conséquences de ces opérations
ne touchent jamais ceux qui les mettent en marche et les sacrifices
se font sur le dos des employés par des licenciements, des baisses
de salaire, une augmentation du temps de travail. L'élaboration de
ces plans de restructuration se fait toujours en haut lieu, ce qui
est stupide. Les dirigeants devraient dire à leurs employés les but
qu'ils souhaitent atteindre, dans l'intérêt de tous, bien entendu,
et ce sont ces mêmes employés qui élaboreraient les modalités du
changement. En effet, qui d'autre qu'eux connaissent le travail et
comment il convient de le faire ? On appelle ça la démocratie,
un concept trop généralement ignoré.
De
quoi sont composées les restructurations ?
La
direction de la DSEM a pris le parti de ne pas affoler les
techniciens en dissimulant ses restructurations successives sous des
noms qui sont prévus pour rassurer mais qui, en fait, soulèvent des
torrents d'épouvante. Un groupe de lettres peut parfois faire
l'affaire : le précédent projet s'appelait PPO
(pour Projet Performance
Opérationnelle). L'adjonction
d'un terme rassurant est de temps en temps utilisé : au
courrier, le projet Facteur d'Avenir est l'exemple type de
l'hypocrisie des cadres dirigeants. Ce sont, il est vrai, de grands
comiques.
Un
projet de restructuration est un recentrage général. En effet, tout
passe à la casserole : le périmètre d'intervention des
techniciens est la première chose qui est pointée du doigt. Il est
départemental puis régional, il peut être également les deux à
la fois ou ni l'un ni l'autre. Désormais, après avoir été
territorial, il est question de secteurs et de périmètres dits
isochrones. Explication : vous prenez la ville du point
d'attache des techniciens et, avec un compas virtuel, vous tracez un
cercle correspondant à une heure de trajet. Tout ce qui est au delà
de ce cercle est appelé « zone d'ombre ». Personne ne
sait qui y intervient : cela peut être le secteur le plus
proche, le voisin, les deux ou aucun.
La
façon de manager tout ce beau monde change également de façon
drastique car, c'est bien connu, toute la maintenance tourne autour
des cadres, les éléments clé de l'efficacité, et des outils
informatiques qui vomissent des chiffres à ne plus savoir qu'en
faire. Les techniciens ne sont que des pions râleurs et des éléments
perturbateurs : il faut toujours qu'ils ouvrent leur grande
gueule au lieu de la fermer et d'obéir.
Pourquoi
restructurer ?
Procéder
à des changements dans l'organisation de l'entreprise n'est pas
forcément une calamité. Mieux, cela peut améliorer les choses, du
moins, en théorie. Or, nous sommes en France, le pays qui a fait la
révolution en 1789 mais qui est resté féodal. C'est le sommet qui
sait tout mieux que tout le monde et c'est lui, et lui seul qui
impose les modèles d'organisation qu'il est allé cherché chez le
voisin, de préférence s'ils ont foiré. La base, elle, se tait et
obéit.
Des
conditions économiques nouvelles, une évolution du secteur
d'activité, un recentrage sur le cœur de métier, une configuration
géographique qui a été modifiée ou des failles dans
l'organisation existante peuvent amener la direction à réorganiser
l'entreprise. Elle met alors en place une nouvelle stratégie qui
s'adapte au mieux avec ses besoins. Tout le monde est d'accord sur le
principe. Mystérieusement, pour prendre l'exemple de la DSEM, la
nouvelle politique n'arrange rien à la situation : elle en
accentue les défauts qu'elle prétend vouloir corriger.
Le
territoire de Haute-Normandie rassemble le personnel des agences de
Rouen, d’Évreux et du Havre. Chacune est dirigée différemment
selon des règles qui varient selon les personnes et les
circonstances. On voudrait nous faire admettre qu'en ajoutant les
deux départements voisins, les choses vont s'arranger. Le technicien
croit au miracle : c'est pour cela qu'il est syndiqué.
« 1789 :
les bourgeois prennent le pouvoir. 1989 : ils sont toujours
là ! » avait déclaré Pierre Desproges, et il
avait raison. Les français sont descendus dans la rue pour faire la
révolution et s'affranchir des modèles sociétaux ancestraux avec
une régularité d'horloge. Ils ont commencé en 1789, en frappant
fort, trop peut-être. Ils ont recommencé en 1830 pour chasser les
Bourbons, définitivement, cette fois (parce qu'ils étaient revenus,
imposés par l'Europe, déjà elle, et le congrès de Vienne). Les
bourgeois en ont profité pour imposer la monarchie de juillet et
placer sur le trône un rejeton d'une branche cadette :
Louis-Philippe. En 1848, la république chassa le roi citoyen et le
suffrage universel plaça aux commandes un prince-président qui
rétablit l'Empire quatre ans plus tard. Cet empire sombra avec la
guerre de 1870 et la perte de l'Alsace et de la Lorraine. La
Troisième République occupa la moitié du vingtième siècle pour
s'effondrer entre les mains du Maréchal Pétain. Le Général de
Gaulle instaura la république que nous connaissons aujourd'hui, une
monarchie républicaine, élective et quinquennale, qui confère au
Président bien plus de pouvoirs que n'en avait Louis XIV, pourtant
considéré comme le modèle de monarque absolu. Dans cette histoire,
le peuple (c'est à dire l'universalité des citoyens et non pas
simplement les plus humbles) n'est pas parvenu à s'affranchir de la
structure pyramidale de la société. Il a tenté de renverser la
vapeur en 1936, obtint quelques succès avec le front populaire de
Léon Blum (qui fut déporté par les allemands, ne l'oublions pas).
Plus tard, en 1968, les fameux événements eurent certes des
répercussions, mais pas celles qu'on espérait. La majorité s'est
toujours fait berner par une minorité vicieuse et élitiste.
« La
hiérarchie a été inventée par des incompétents pour contraindre
ceux qui avaient le savoir-faire à leur obéir. »
Dans
nos sociétés dites modernes, toutes les décisions viennent
d'en-haut. Dans une république, c'est le gouvernement qui décide,
les électeurs se contentent ensuite d'obéir. Parfois, ils
protestent : ils font grève, quand ils ont un travail, ils
bloquent des routes et déversent du fumier devant les préfectures.
Et comme on ne les écoute pas, au mieux, ils ne vont plus voter, au
pire, ils votent Marine Le Pen. Dans le domaine religieux,
l'imagination est plus riche, plus originale, insurpassable. Les
décisions viennent d'en-haut, très haut, on ne peut pas plus haut :
c'est Dieu Lui-même qui dicte ses directives. On voit d'ailleurs où
ça nous mène.
D'où
vient cette manie d'attendre sans cesse la révélation des hautes
sphères, quelles qu'elles soient, alors qu'il suffit de regarder
autour de soi pour se mettre d'accord et aller dans un même sens. La
logique voudrait que les règlements soient élaborés par ceux qui
les appliqueront et qu'ils soient mis en forme par un groupe de
personnes issues de cette base pour leur assurer une cohérence.
Personne ne leur interdirait de les appliquer sur un territoire plus
large si la nécessité l'exige. Au lieu de cela, tout se passe à
l'envers.
« Le
véritable danger pour le militaire, ce n'est pas l'ennemi, mais la
hiérarchie. »
Une
hiérarchie est constituée de pions qui s'agencent par strates
successives comme en géologie. Les plus anciens, qui sont les plus
nombreux, sont tout en dessous. Ils forment une couche primaire que
des grades d'opérette attribués arbitrairement par des chefaillons
de Prisunic rendent instable voire incontrôlables. Juste au-dessus
s'entassent quelques minces couches dont les contours restent flous.
Là commence le règne des cadres et des encadrants. Les pions qui
évoluent dans cet univers se croient investis d'une mission quasi
divine puisqu'ils ont l'illusion d'exercer un pouvoir sur leurs
semblables. Ils se trompent lourdement mais ne leur dites pas, ils ne
vous croiraient pas. Leur naïveté serait touchante si elle n'était
pas franchement ridicule.
Les
couches supérieures deviennent de plus en plus minces et les
managers qui y grouillent ont largement dépassé le stade de la
naïveté. Ils vivent en plein fantasme. Ils ne sont pas différents
de ceux qu'ils supervisent : ils se font tout autant manipuler.
Ils s'imaginent donneurs d'ordre, ils ne sont que des passe-plats.
Tout directeur de ci ou de ça qu'ils soient, ils ont tout de même
quelqu'un au-dessus d'eux qui leur dit ce qu'ils ont à faire.
Évidemment, le salaire n'est pas le même, le prestige d'un titre
quasi nobiliaire non plus.
« Il
faut savoir descendre les échelons de la hiérarchie au lieu de
monter sur la tête des autres : on peut tirer un âne avec une
ficelle, mais non le pousser. »
Il
faut imaginer une restructuration dans une entreprise comme une
partie de cartes réunissant des précieux ridicules dans le salon
cossu d'un club pour gens fortunés. A la table de jeu, l'un jouerait
au rami, tandis que les autres suivraient les règles du bridge, du
tarot, du poker, de la belote, de la manille ou de la bataille. Les
cartes seraient issues d'un jeu des sept familles qui seraient les
suivantes : rentabilité, performance, économie, efficacité,
polyvalence, optimisation et satisfaction client. Le joueur qui
parviendrait à rassembler devant lui toutes les familles avec le
moins de cartes serait déclaré vainqueur.
Dans
la réalité, les choses sont bien pires : le siège n'entend,
ne comprend, n'analyse et ne tient compte que des chiffres, des
données issues de moulinettes informatiques qui ne correspondent en
rien à ce qui se passe vraiment sur le terrain. Les efforts
surhumains, une imagination débordante et une volonté inébranlable
des cadres de faire rentrer des résultats coûte que coûte dans le
moule pour ne pas attirer l'attention ou mettre en péril le montant
de leur part variable participe largement à cette mascarade. Non, la
carte ne fait pas le territoire et le grade ne confère pas les
compétences comme par magie. On ne consulte pas les techniciens qui
sont sur le terrain comme on va chez la cartomancienne en lui faisant
dire ce qu'on veut entendre. Un directeur délégué de la DSEM a dit
un jour qu'il n'y avait pas de démocratie en entre-prise. S'il y en
avait ne serait-ce qu'un peu, les choses iraient certainement bien
mieux.
« En
1981, nous avons établi le socle du changement. En 2012, on attend
toujours le sculpteur qui devait faire le reste. »
La
DSEM fait preuve d’une imagination débordante pour rendre les
techniciens polyvalents ou, dit autrement, multi-compétents. Pour
cela, elle a développé un concept original : n'importe qui
devra pouvoir faire n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment,
le moins longtemps possible pour en faire le plus possible. Les
arguments invoqués par la direction sont d'ordre économique. Tout
le monde est capable de comprendre et d'admettre que les budgets se
resserrent et que le temps de l'opulence est révolu, même si c'est,
une fois de plus, un mensonge éhonté. Les patrons ne conçoivent
les économies que comme une réduction de la masse salariale.
Donnons-leur rai-son, pour une fois. Supprimons tout ce qui se situe
au dessus d'un certain niveau hiérarchique et confions la gestion de
l'entreprise à ceux qui savent comment il convient de travailler. Si
des responsables sont nécessaires, qu'on les élise : un chef
n'est chef que s'il est reconnu comme tel.
« Les
techniciens ne sont pas des animaux. Si vous vouliez manager des
singes, il fallait postuler au zoo de Vincennes. »
L'un
des plus incroyables mystères de l'humanité est le suivant :
ce n'est pas parce que les choses sont en désordre qu'il faut les
organiser, c'est parce qu'elles sont en ordre qu'on peut les
réorganiser. On peut ainsi formuler le théorème suivant : une
réorganisation est toujours précédée par une période de
dysfonctionnement provoquée et entretenue par ceux qui préconisent
un changement radical. Cette période de trouble est elle-même
précédée par une situation qui, si elle n'est pas optimale, a du
moins atteint un point d'équilibre. Pour réorganiser il est donc
indispensable de tout saborder au préalable. Pour s'acquitter de
cette tâche, rien de plus simple : semer la zizanie dans le
personnel en prenant les compétents pour des imbéciles et en gâtant
les lèche-bottes.
« Rien
ne définit mieux l’être humain que sa disposition à faire des
choses absurdes pour obtenir des résultats totalement improbables. »
On
ne peut pas reprocher aux penseurs qui pondent les projets de
réorganisation de manquer d'imagination. A la DSEM les méninges
tournent à plein régime pour fournir des idées novatrices. Or,
parfois, le nouveau ressemble à l'ancien mais dit autrement. Ainsi,
dans un futur prévu pour très bientôt, il y aura deux sortes de
techniciens : les nomades et les sédentaires. Les nomades
seront sur la route, armés de leur téléphone Android équipé
d'une application de gestion des dé-rangements, et interviendront
dans les établissements postaux. Le matériel dont ils pourraient
avoir besoin leur sera envoyé directement sur site, comme cela se
passe dans d'autres sociétés de maintenance. Les sédentaires
resteront à l'atelier et se chargeront de préparer les
déploiements, configurer les matériels et gérer certains types
d'opérations. C'est là que réside la nouveauté mais c'est là
également que rien ne change. En effet, le technicien nomade pourra
être sédentaire et le technicien sédentaire pourra être amené à
se déplacer. C'est déjà le cas actuellement. Les conditions de
travail du technicien, qu'il se déplace ou pas, risquent de se
délabrer à l'avenir. Si ce n'est pas franchement nouveau, ça ne va
pas dans le sens du bien-être au travail, un sujet qui a été un
temps à la mode à la Poste.
« Quelque
part entre les hallucinations de la direction et la dure réa-lité
du marché, on trouve ce qu'on appelle un business plan. Voici les
deux étapes principales qui permettent d'établir un business plan :
réunir des informations, ne pas en tenir compte. »
Le
Plan de Transformation de la DSEM sur la période 2016-2020 prévoit
de clarifier les rôles et responsabilités entre les activités de
support et les activités de front office, permettre au Support
Client et Téléservice
(le SCT, pour les initiés)
d’élargir son périmètre d’activité, définir de nouveaux
périmètres d’interventions plus homogènes, permettant un
meilleur équilibrage de charge, revoir l’organisation des flux et
des stocks, poursuivre le développement des compétences et le
partage des connaissances, clarifier et adapter les parcours de
carrière, combler les départs en cohérence avec l’orientation de
la poste d’offrir un avenir pour chaque postier.
(Extrait
d'un texte officiel présenté aux techniciens)
« L’entreprise
ne peut pas faire grand chose pour stimuler le bonheur et la
créativité, mais elle peut faire beaucoup pour les tuer. »
Au
niveau local, un Projet d’Établissement prévoit de faire
réfléchir les techniciens sur les sujets suivants :
Contenu
et sens du travail : comment capitaliser sur les évolutions
organisationnelles de la DSEM pour resituer l’action individuelle
au cœur des objectifs collectifs.
Vie
d’équipe : quelles sont les actions à mener pour recréer un
collectif territorial sur un périmètre redéfini.
Compétences
et formation : comment miser sur les nouveaux parcours de
formations pour développer une dynamique collective d’entraide et
de partage des connaissances
Moyens
à disposition : comment décliner localement les nouveaux
processus opérationnels
Partager
et faire des propositions locales permettant de contribuer aux
évolutions nationales.
« Les
gens normaux croient que si ça marche, c'est qu'il n'y a rien à
réparer. Les ingénieurs croient que si ça marche, c'est que ça ne
fait pas encore assez de choses. »
Les
prochaines semaines risquent d'être mouvementées car le projet ne
plaît pas aux syndicats. Beau-coup de techniciens éprouvent de
grandes réticences, d'autres sont comme les moutons de Panurge, ils
suivront le mouvement sans discuter. Pour le peu que les cadres qui
ont pour mission de faire gober le projet au personnel soient
suffisamment convaincants, en faisant des promesses qu'ils ne
tiendront pas (perspectives d'évolution de carrière, avantages
divers ou gratifications substantielles), le projet sera adopté. Il
faudra noter que le texte présenté officiellement aux techniciens
fait 19 pages alors que le document de travail initial en contient
plus de 80. Tout n'a donc pas été dévoilé. Il reste donc quelques
sur-prises de dernière minute à découvrir. Je viens de
m'apercevoir que je n'aime pas les surprises.
« Pour
créer un marché il faut inventer un problème, puis trouver sa
solution. »
À
une question qui met en évidence le fait que quelque chose ne tourne
pas rond, le siège apporte en général une réponse elliptique. Il
tourne autour du pot, fait des ronds de jambes, feint de ne pas
saisir la problématique et dit qu'il réfléchira quand il en aura
le temps. Au mieux, il se fiche de vous, au pire, il vous méprise et
ne répond même pas. Je vous rappelle cet axiome trop souvent
vérifié : c'est dans les hautes sphères que les choses se
décident et c'est en-bas qu'on obéit, et avec docilité, s'il vous
plaît !
« Quand
il existe une bonne solution et une mauvaise, le siège choisira la
mauvaise et vous rendra responsable des conséquences néfastes et de
tout échec. »
Au
sommaire du prochain numéro :
Vous
y trouverez : des informations sur la progression du projet de
réorganisation de la DSEM.
Vous
n'y trouverez pas : l'horoscope, les prévisions météo, les
programmes de la TNT, des modèles de tricot, des analyses
politiques, des dissertations sur la nature et le devenir de la dette
publique, des sujets qui font polémique actuellement, des critiques
sur la politique du gouvernement. Rien que du postal !